Parlez-moi d'amour - Mai 2025
Loin des yeux, très proches du cœur | Episodes diffusés et favoris
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Récemment, j’ai revu le formidable Lucy de Luc Besson. Alors qu’elle atteint plus de 60% de capacité d’utilisation de son cerveau, Lucy explique que la seule mesure qui rend tangible notre existence est le temps. En tant qu’expatrié, la distance est une variable supplémentaire à laquelle nous sommes particulièrement sensibles dans notre expérience journalière.
Qu’est-ce qui nous fait larguer les amarres des rivages familiers, des quotidiens connus, des habitudes répétées pendant des dizaines d’années ? Quel poids faisons-nous peser sur les épaules de celles et ceux qui restent ? Peut-on continuer de les aimer en pensées, malgré l’éloignement ?
Nous savons que partir est parfois une preuve d’amour. Mais personne ne nous dit que l’amour peut survivre ou exister de loin. Il y a suffisamment d’expressions cruelles et douloureuses qui condamnent l’absence provoquée par le départ de celles et de ceux que nous aimons :
Loin des yeux, loin du coeur ;
Les absents ont toujours tort ;
Qui va à la chasse perd sa place ;
etc.
Et en même temps :
L'absence éteint les petits feux et ranime les grands.
C’est la contradiction la plus foudroyante de la vie d’expatrié : il nous faut partir par amour pour soi et laisser derrière nous ceux que nous aimons déjà.
Mais alors, faudrait-il faire table rase du passé ? Abandonner celles et ceux pour qui nous ne pouvons plus être là physiquement ? Peut-on, vraiment, aimer de loin ?
En quittant la France au seuil de la vie d’adulte, j’étais persuadée d’être portée par un désir d’aventures et d’ailleurs. Berlin. Berlin la tragique, la terrible, la magnifique.
Si les raisons d'un départ peuvent être aussi poignantes qu'incongrues (s'échapper d’une situation triste ou dangereuse, opportunité professionnelle, Erasmus prolongé, passion qui donne des ailes), il y a finalement toujours deux dynamiques à l'oeuvre :
La reconnaissance et l'abdication qu'ici ne nous donnera pas ce à quoi nous aspirons ;
La foi délirante et un peu folle qu'autre part, l’inconnu, sera mieux que ce que nous connaissons déjà.
En commençant à travailler, dans une autre langue, une nouvelle culture, un domaine dont j’ignorais tout, je me suis rendue compte que finalement, j’échappais aussi à un certain déterminisme, aux automatismes et codes de conduite profondément ancrés que je n'aurais peut-être pas déjoués là où j’avais grandi.
En Allemagne, ce pays où je découvrais tout, j’avais le droit, pleinement, de créer de toutes pièces celle que j’allais être. Aussi violemment que mes limites m’étaient renvoyées en pleine figure, j’avais une liberté moins entravée parce qu'ignorante des normes de cette terre d'accueil pour réagir. Parce que, aussi, blotti dans un coin de mon esprit, vrai ou non, j’étais certaine "qu'au pire, je rentrerais en France".
Une palette de possibles à la main, et le devoir de me lever le matin, faire du mieux que je le pouvais avec mon allemand balbutiant et mon incompétence flagrante, pour rendre ne serait qu'une once de la confiance qui m'était accordée.
Mes parents ayant eux-mêmes vécu dans divers endroits, je n'ai jamais fait partie d'une bande d'amis. J'étais l'électron libre qui allait d'un groupe à l'autre, nouant des amitiés au grès des possibles et des affinités. En déménageant sans date retour, je me suis promise que je ne perdrai pas de vue ces relations qui me tenaient à coeur.
Dans un brillant échange, Simon Sinek raconte une dispute avec sa copine de l’époque, qui lui reproche son incapacité à écouter. Ce à quoi il rétorque que l'écoute est la compétence inhérente de son métier et de son succès. A l'issue de quelques sessions de travail, il découvre toutefois que sa brillante capacité à prêter une oreille attentive n’est à l’oeuvre qu’avec des personnes qu’il ne rencontre qu'une fois.
Alors comment faire pour nourrir, à distance, des relations qui existent déjà ?
Peu importe les incompréhensions ou soutiens que provoquent la décision de partir, il faudrait commencer par déjouer les peurs irrationnelles ou infondées, éconduire les attentes inappropriées. Accepter que certaines personnes quitteront le navire.
Avoir le courage de ne pas être aimé offre à ce sujet plusieurs clés :
Il y a un prix associé au fait de vouloir exercer sa liberté. Et le prix à payer pour avoir la liberté dans nos relations interpersonnelles, c'est de ne pas toujours être aimé.
Vivre dans la peur que ses relations ne s’écroulent est une façon de vivre où l’on se prive de liberté parce que l’on vit pour autrui.
Ce n'est pas que l'on manque de capacité. On manque simplement de courage. Tout se résume à une question de courage.
Si "je" change, le monde changera. Cela veut dire que le monde ne peut être changé que par moi, et que personne d'autre ne le changera pour moi.
Admettre que certaines présences sont temporaires est aussi un processus de deuil. Et comme le dit magnifiquement bien Chimamanda Ngozi Adichie dans Americanah :
Elle se sentit accablée par une soudaine nostalgie qui demeura en elle durant des semaines. (…) Comment pouvait-on regretter quelque chose dont on ne voulait plus ? Blaine désirait ce qu'elle n'était plus capable de lui donner et elle avait besoin de ce qu'il ne pouvait plus lui offrir, et c'était ce qu'elle pleurait, la perte de ce qui aurait pu être.
Et pour le reste, avoir la foi. Comme dans ce magnifique passage de L’Alchimiste de Paulo Coehlo :
Mais si tu dois partir plus tôt, alors pars vers ta Légende. Les dunes changent sous l'action du vent, mais le désert reste toujours le même. Ainsi en sera-t-il de notre amour. Mektoub, dit-elle encore. Si je fais partie de ta Légende, tu reviendras un jour.
Le covid et internet ont grandement facilité la tâche. Du jour au lendemain, le mouvement a été figé. Cloisonnés avec une ligne d'appel pour échanger avec les personnes que nous aimons qui n'étaient pas dans notre kilomètre d’accessibilité réglementée. Ce jour là, je sus qu'il y avait des choses que je dirais de loin ou pas du tout. Parce que nous ne savions pas quand ni si nous nous reverrions de nouveau.
Ayant intégré ces mécanismes, ces nouvelles règles de jeu, il est temps de se donner les moyens de ses ambitions. Prendre la responsabilité d’impulser une nouvelle dynamique autant que s'adapter aux possibles des autres. Ne pas tenir rigueur des oublis ni faire le compte des appels manqués, des impossibilités de se voir ou des remises de retrouvailles à plus tard.
Quelques solutions testées que je recommande :
Créer un mailing, un groupe Whatsapp, un compte sur les réseaux sociaux pour continuer d’informer les gens que nous aimons de nos actualités ;
Souscrire un abonnement chez Letterloop, une newsletter collaborative, ou Famileo qui rassemble les actualités et envoie une gazette par courrier à intervalle régulier ;
Et quand les agendas ne s'accordent pas, les personnes que j’aime sont venus peupler le jardin secret cultivé enfant. Parfois, dans la douceur d’un après-midi le week-end, je prends le temps de penser à celles et ceux que j'aime. Pas de manière furtive, mais plus longuement, posément, comme une prière ou une méditation.
Les distances, même longues, ne sont qu’un mirage. A coup d’appels, de messages envoyés, de longs vocaux, d’occasionnelles entrevues, d’actes manqués, pardonnés et recrées, nous avons continué à faire croître nos relations.
Vous l’aurez compris, je n'effleure qu’une once de ce qu'implique de créer à nouveau une communauté quand on a choisi de quitter la sienne et d’en remodeler ses contours.
À nous, à celles et ceux qui ont quitté leurs horizons familiers pour s'approprier de nouveaux territoires, à nos aimés qui sont restés, ont accepté et soutenu comme ils ont pu les séparations et continuent de répondre présent, je souhaite que dans la découverte de cette liberté sauvage, entière, bâtie une pierre après l'autre, vous vous donniez et receviez un amour pur et vibrant ;
(…) un amour qui t’écoute quand tu chantes, qui te soutiens lorsque tu es ridicule, qui respecte ta liberté, qui t’accompagne dans ton vol, qui n’a pas peur de tomber.
(Frida Kahlo)
J’ai découvert dans cette distance entre d'où je viens et qui je suis, un équilibre d'une grande subtilité. Et pris conscience des habitudes nouées en étant seule.
Quand nous sommes venus à la rencontre de nous-même et avons appris à aimer de loin, saurons-nous aimer de près à nouveau ? Ou comme dans le magnifique Liv Maria de Julia Kerninon, serons-nous contraints de nous raccrocher à ce mouvement qui nous a déjà sauvé ?
A bientôt,
Gabrielle
Mentionnés :
Lucy (2014) de Luc Besson
E145 DOAC Simon Sinek: The Number One Reason Why You’re Not Succeeding
L’Alchimiste (1994) de Paulo Coehlo
Avoir le courage de ne pas être aimé (2018) d’Ichiro Kishimi et Fumitake Koga
Americanah (2014) de Chimamanda Ngozi Adichie
Liv Maria (2020) de Julia Kerninon
🗣️ L’épisode de berlindetoi de mai 2025


[🇩🇪#74] "Ça ne peut pas être fini si ça n'a pas encore commencé" : être artiste avec Miriam Smidt, sur le temps, l'éphémère et les nouveaux départs créatifs
Presque onze mois depuis le dernier épisode enregistré en allemand et une première, un enregistrement en pleine nature, au pied de la chapelle d’un cimetière désaffecté dans laquelle Miriam a son atelier de peinture et de création.
De son retour à l'art, marqué par un tournant radical après une grave maladie, Miriam parle du devoir d’être qui nous sommes, de son travail et de son quotidien d'artiste. Un épisode qui aborde sa pratique et ses réflexions sur le temps, et touche également le monde de l’art contemporain.
🎧 Ecouter sur Spotify, Apple Podcast, Deezer 📝➡️ Lire les notes de l’épisode.
Bonne écoute !
✨ Favoris de mai 2025, voyage, voyage.
Annoncé dans une précédente newsletter, j’ai ADORÉ le week-end de dessin et peinture organisé par l’Esquisse (coucou Emilie #62) dans la sublime ville de Lutherstadt à proximité de Berlin. Il m'a été dit dans l'oreillette que l'expérience sera réitérée et je vous invite pour cela à suivre les actualités de près.
Connaissez-vous la formidable initiative Rising Pineapples insufflée par Delphine Mousseau (#73) ? Talks inspirants, ateliers et opportunités de réseautage réunissant régulièrement des femmes d’horizons différents à la betahaus de Moritzplatz à Berlin. Plus d’info par ici (cf la newsletter pour recevoir les infos).
Est-ce que finalement on ne mangerait pas de mieux en mieux à Berlin ? Sujet de mon dernier post sur Linkedin, l’annonce des beaux jours (bien qu'encore un peu grisonnants) est une excellente opportunité pour arpenter et découvrir les marchés fermiers et locaux de la capitale allemande. Sélection par ici.
Mettre les petits plats dans les grands, faire preuve d’une pointe de snobisme et trouver normal de payer des prix exorbitants pour des portions ridicules avec des noms à coucher dehors, vraiment, j'ai une très mauvaise image de la gastronomie à prix élevé. Et pourtant, dans la ravissante Algajola en Corse, a ouvert depuis à peine deux mois le restaurant Le Nano. Au dîner à 80€, le chef est un artiste, la sommelière une fée, le cadre idyllique. Un accord mets vins d’une finesse et audace réjouissantes, qui invitera les sceptiques comme je l’étais à remettre en question les idées toutes faites.
Si vous partez de Nice pour rejoindre la Corse, je vous invite à réserver une place au coworking Le LABO, engloutir le meilleur flan pâtissier de ma vie à la boulangerie Bordonnat, déguster une glace chez Fenocchio et dîner au Peixes (en évitant les conversations trop longues, le poisson cuisant dans les agrumes).
J’ai regardé et savouré chacun des instants de The Scent of a Woman avec Al Pacino et Chris O’Dennell. L’histoire, les décors, le jeu d’acteur, les dialogue, tout est délicieux.
Entre Bref. 1 et Bref. 2, il y avait aussi eu Un bon moment, que j’avais adoré. Kyan et Navo reviennent dans une vidéo FAQ avec des indices pour la suite.
Et vous, quels ont été vos favoris de mai 2025 ?
Le code “berlindetoi “ vous donne 10% de réduction sur votre commande chez Anatae. Le matcha cérémonie est devenu un indispensable de ma cuisine.
👀 Rdv en juin 2025 ?
Shout out au superbe programme de dédicaces du Grenier à Bulles (coucou Claire #25) : 11.06. Hélène Camarade, 14.06. Cheyenne Olivier, 19.06. Tiffany Cooper, 21.06. Tarek, 28.06. Juliette Cottereau et 29.06. accueillera un photobooth d’illustrateurs.
06.-09.06. : Le festival Karneval der Kulturen propose un programme riche avec plus de 5.000 participants issus de différentes cultures, pour mettre en avant la diversité culturelle de la ville au travers de la musique, danse, performances artistiques et ateliers interactifs.
14.06. : ouverture de la 13e Biennale de Berlin pour l'art contemporain avec pour thème thème de la « fugitivité », inspiré par la présence des renards urbains à Berlin.
14.-15.06 : Le Italian Street Food Festival est une immersion gourmande dans la cuisine italienne avec des spécialités telles que pizza, arancini, porchetta, cannoli, gelato, et bien plus encore, proposées par une vingtaine de stands et food trucks.
21.06. : La 30e édition berlinoise de Fête de la Musique transforme la ville en une scène musicale géante avec des concerts gratuits de musiciens amateurs et professionnels dans divers lieux publics.
28.06. : La Lange Nacht der Wissenschaft se tient de 17h à minuit, 1.500 événements dont 800 spécialement conçus pour les plus jeunes, pour découvrir plus de 50 institutions scientifiques (laboratoires, archives et bibliothèques) à Berlin et Potsdam habituellement fermés au public.
28.-29.06. : Organisé par la Chambre des architectes de Berlin, le Tag der Architektur sous le thème « Construire la diversité » offre l'opportunité de découvrir gratuitement des projets architecturaux récents à travers des visites guidées et des rencontres avec des professionnels.
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